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Je Donne

Une bourse déterminante pour les jeunes pris en charge

La bourse Martine-Turcotte est destinée aux jeunes pris en charge par la protection de l’enfance, qui ont eu un parcours de vie plus difficile que leurs pairs. 

Une femme regardant la rue McTavish

Voici l’histoire d’une étudiante qui a été prise en charge par le système québécois de protection de la jeunesse durant presque toute son enfance et qui, à force de travail et de détermination, a été admise en droit à McGill.

Pour joindre les deux bouts, elle travaillait 25 heures par semaine en marge de ses études à temps plein.

Un jour, à son grand étonnement, elle s’est vu décerner la bourse Martine-Turcotte, destinée aux jeunes qui, comme elle, ont grandi en placement. Cette bourse complète couvre les droits et les frais de scolarité, l’achat des livres obligatoires et d’un ordinateur portable, en plus d’une allocation mensuelle de subsistance et d’autres formes d’aide, comme un programme de mentorat et des activités d’apprentissage expérientiel rémunérées durant l’été. 

« C’est comme passer sa vie au fond de l’océan avec une bonbonne d’oxygène sur le dos, qui représente notre compte bancaire », illustre cette étudiante, qui souhaite garder l’anonymat, à propos de la vie en placement. « On n’a personne pour remplir notre bonbonne quand elle est vide ou la réparer si elle est abîmée. Toute ma vie, je me suis demandé si j’allais manquer d’air. Je n’étais pas certaine d’en avoir assez pour faire la grande traversée, c’est-à-dire étudier à l’université. »

« Cette bourse est pour moi une bonbonne d’air providentielle. Je sais que j’aurai de quoi nager jusqu’à destination. »

Martine Turcotte (B.C.L. 1982, LL.B. 1983), diplômée en droit de McGill, a derrière elle une brillante carrière chez Bell, en plus d’avoir siégé pendant 10 ans au Conseil des gouverneurs de l’Université. Elle a établi ce programme de bourses grâce à un généreux don en 2021 et exprimé l’espoir que d’autres lui emboîtent le pas.

Les jeunes ayant été pris en charge sont environ deux fois moins nombreux que les autres à poursuivre des études postsecondaires, selon la Fondation pour l’aide à l’enfance du Canada. Et c’est principalement par manque de moyens financiers. 

« Je suis extrêmement reconnaissante à Martine Turcotte, s’exclame l’étudiante. Pourquoi a-t-elle pensé à nous, les jeunes du système de placement? C’est une chance extraordinaire. »

Dès que les jeunes en placement atteignent l’âge de la majorité, le système cesse de les prendre en charge. Il leur est souvent difficile d’entreprendre des études postsecondaires dans ces conditions, souligne Cara Piperni, directrice principale par intérim des Services aux étudiants (auparavant directrice du Service des bourses et de l’aide financière aux étudiants) à McGill. « Bon nombre de ces jeunes peinent à se loger et peuvent même se retrouver à la rue. C’est là que nous intervenons, en leur permettant de s’engager pleinement dans des études durant trois ou quatre ans. Leur vie en est transformée », se félicite-t-elle.

« Pour ces jeunes qui ont vécu une enfance difficile, c’est déjà un remarquable exploit de remplir les conditions d’admission très élevées de l’Université, enchaîne-t-elle. Une telle persévérance et un tel degré d’autonomie forcent l’admiration. »

Le porte-voix de ses semblables

Elijah Olise a grandi dans le système de protection de l’enfance. Aujourd’hui en première année du baccalauréat en travail social, il milite pour un meilleur soutien aux jeunes à la fin de leur prise en charge.

« C’est beaucoup plus difficile pour nous de prendre notre vie en main que pour nos pairs », assure-t-il. Il ajoute que le plus grand problème vient de leur traumatisme, trop souvent négligé.

Sans compter que ces jeunes sont beaucoup moins nombreux à terminer leurs études secondaires; il est donc crucial de mieux les accompagner dans leur parcours scolaire, insiste-t-il. En effet, une étude commandée par le gouvernement du Québec publiée en 2024 révèle qu’à 21 ans, seuls 37 % des jeunes pris en charge ont un diplôme d’études secondaires, contre 86 % dans la population générale du même âge.

L’automne dernier, Elijah a signé un article dans le journal étudiant The McGill Tribune appelant l’Université à mettre en place une structure de soutien complet pour les jeunes qui sortent du système. Il ne connaissait pas encore l’existence de la bourse Martine-Turcotte, qu’il a reçue par la suite. « À ce moment, la boucle était bouclée : j’ai réalisé que des gens agissaient dans l’ombre pour nous aider. Et j’espère que d’autres personnes contribueront à cette cause. »

L’étudiant a fondé le Centre holistique afro jeunesse, un organisme sans but lucratif, et il est membre du Consortium canadien sur le trauma chez les enfants et adolescents. Il aspire à une carrière en politique afin de faire bouger les choses pour les jeunes issus du système de protection de l’enfance.

De survivante à étudiante épanouie

La toute première lauréate de la bourse Martine-Turcotte est une étudiante au programme spécialisé en physiologie, qui espère devenir pathologiste ou du moins assistante en pathologie.

Elle a été prise en charge à l’âge de 11 ans. « J’ai dû commencer à travailler à 13 ans pour subvenir à mes besoins, ce qui me laissait peu de liberté », dit la jeune femme qui préfère rester anonyme. Durant ses années au cégep, elle travaillait à temps plein en soirée. 

« Je suis très fière de tout ce que j’ai accompli, mais la bourse m’apporte un répit qui a changé ma vie : j’ai dû travailler dur pour obtenir tout ce que je possède, et aujourd’hui, je peux me concentrer sur mes études sans me soucier de l’argent », se réjouit-elle.

Plus qu’une bourse, un soutien complet

En plus de financer la bourse, le don de Martine Turcotte prévoit des fonds pour les initiatives de recrutement et de sensibilisation auprès des jeunes qui sortent du système, un programme de soutien qui aiguille les étudiantes et étudiants vers les ressources sur le campus et facilite leur cheminement, ainsi que des activités d’apprentissage expérientiel. 

Le Centre de recherche sur l’enfance et la famille de l’École de travail social de McGill supervisera le mentorat des jeunes et participera à l’organisation de stages d’été rémunérés en assistanat de recherche. La professeure et directrice du Centre, Delphine Collin-Vézina, espère lancer ces deux initiatives cet été.

La professeure Collin-Vézina et la doctorante Amanda Keller ont aussi élaboré des séances de formation à l’intention du personnel de McGill sur la situation particulière des jeunes pris en charge, les moyens de les recruter et le soutien à leur offrir durant leurs études.

Une personne du Service étudiant d’accessibilité et d’aide à la réussite est là pour les conseiller et les diriger vers diverses ressources en matière de logement, de santé mentale et physique et d’emploi.

De plus, les futurs étudiants et étudiantes ont accès au programme communautaire Branches de la Gestion de l’effectif étudiant, qui démystifie le monde de l’enseignement supérieur. 

Comme le fait remarquer Cara Piperni, « ces jeunes ne seraient pas ici si on ne leur avait pas indiqué comment y parvenir ».

Pour la professeure Collin-Vézina, cette bourse envoie un message fort : les personnes issues du système de protection de l’enfance ont beaucoup à apporter à la société, et McGill leur donne les moyens de le faire. 

« La plupart de nos étudiantes et étudiants n’ont pas eu à traverser de telles épreuves, loin de là, affirme-t-elle. Les personnes qui ont passé leur enfance en placement ont dû se débrouiller et travailler fort pour prendre leur vie en main. C’est extraordinaire le courage qu’ont ces jeunes. »

Pour sa part, l’étudiante en droit dont nous avons parlé espère que ses pairs cesseront de croire que l’université est hors de portée. « Personnellement, je ne connais pas d’autre jeune du système m’ayant précédée sur cette voie, regrette-t-elle. J’espère en inspirer beaucoup d’autres en leur prouvant que c’est possible. »