« Maintenant, je fais quoi? » Voilà la question que se posent de nombreux diplômés devant un marché du travail en constante évolution et un monde encore fortement ébranlé par la crise de la COVID-19.
Cette question, Beatrice Ayinkamiye se l’est posée elle aussi, mais elle ne pensait pas uniquement aux perspectives d’emploi. En effet, après l’obtention de son baccalauréat en sciences au printemps 2020, cette Rwandaise venue étudier à McGill grâce au Programme de bourse de la Fondation Mastercard avait une grande décision à prendre : rester à Montréal ou retourner au Rwanda.
« Chacun avait son opinion sur le sujet », dit-elle, et ses amis étaient nombreux à lui conseiller de ne pas retourner tout de suite au Rwanda. « Comment vas-tu faire pour trouver du travail? », lui disaient-ils. « Et la pandémie, y as-tu pensé? Es-tu bien certaine de vouloir faire ça? »
« Ils n’avaient pas tort. Mais j’ai pris la décision d’y retourner en toute connaissance de cause, parce que je sentais que c’était la chose à faire à ce moment-là. Alors, je suis rentrée au Rwanda », nous confie Beatrice, ajoutant qu’elle ressentait fortement le besoin de revenir au bercail et de renouer avec sa mère.
En arrivant dans le district de Musanze, région du nord du Rwanda où elle a grandi, Beatrice a constaté que très peu d’employeurs embauchaient. Et elle ne savait pas trop quoi faire avec sa formation.
Enfant, elle rêvait de devenir médecin ou fonctionnaire, en partie pour se rendre utile dans son milieu, où les besoins étaient nombreux. Maintenant diplômée en mathématiques et en économie, elle ne savait pas trop où faire porter ses efforts.
À la fin de l’été 2020, elle était sur le point d’accepter un stage non rémunéré lorsqu’elle a reçu un courriel du programme Transitions de la Fondation MasterCard. Une voie qui allait s’avérer fort gratifiante venait de s’ouvrir devant elle.
« Un atterrissage en douceur sur le marché du travail »
Depuis 2013, la Fondation Mastercard octroie des bourses permettant à des étudiants d’Afrique subsaharienne, tout comme Beatrice, de venir étudier à l’Université McGill. En plus d’être doués, ces étudiants doivent faire montre de qualités de chef et être déterminés à se vouer au mieux-être de leurs concitoyens.
Grâce à ce programme, plus d’une centaine d’étudiants africains ont pu acquérir une formation de haut calibre à McGill. Bon nombre de ces boursiers étant maintenant diplômés, on a créé le programme Transitions pour leur ménager « un atterrissage en douceur sur le marché du travail », explique Nii Addy, directeur adjoint des initiatives africaines au Bureau du premier vice-principal exécutif adjoint (Études et vie étudiante).
« La bourse est un tremplin et non un objectif en soi, précise Nii, qui dirige cette initiative. Nous devons épauler les étudiants à long terme dans leur recherche d’un emploi valorisant et la propulsion d’une carrière qui aura des retombées favorables en Afrique. C’est l’essence même du programme Transitions. »
Beatrice était aux anges lorsque Nii a communiqué avec elle pour lui parler du programme. « On dirait que ce programme-là a été taillé sur mesure pour moi, se réjouit-elle. J’avais le sourire fendu jusqu’aux oreilles. » Après avoir discuté de ses champs d’intérêt et de ses objectifs avec Nii Addy, Beatrice s’est vu offrir un stage rémunéré auprès du programme Global Open Data for Agriculture and Nutrition (GODAN).
Et lorsqu’elle a appris qu’elle allait travailler avec Eliane Ubalijoro, qu’elle connaissait de réputation comme membre du conseil consultatif présidentiel du Rwanda, elle avait peine à le croire. À l’époque, cette professeure praticienne à l’Institut d’étude du développement international de l’Université McGill collaborait avec le GODAN afin d’installer au Rwanda une pratique durable appelée « agriculture naturelle à zéro budget ».
Le programme Transitions m’a appris quelque chose que tous les boursiers devraient savoir, à mon avis : où qu’on soit, on a la possibilité d’accomplir de grandes choses.
Beatrice n’avait jamais envisagé de travailler en agriculture auparavant, mais plus elle y pensait et plus cette voie semblait logique. Par ailleurs, elle a pris conscience que son travail pourrait un jour aider sa mère, propriétaire d’une petite exploitation agricole qui a parfois du mal à vendre avec profit ses légumes au marché local.
« J’ai vu tellement de mères dans cette situation. Elles essaient tant bien que mal de joindre les deux bouts, mais elles n’arrivent jamais à subvenir pleinement aux besoins de leur famille, déplore-t-elle. Ici, au moins 80 % de la population est tributaire de l’agriculture, et ces gens-là sont les plus pauvres. »
« Mon stage au GODAN m’a fait découvrir la métamorphose qui s’opère en ce moment dans le monde agricole au Rwanda », souligne Beatrice, qui a eu la chance de collaborer avec divers acteurs de ce secteur, notamment des entrepreneurs et des représentants du gouvernement.

Un programme riche de perspectives
Outre les stages, le programme Transitions de la Fondation MasterCard offre aux boursiers des possibilités dans trois autres sphères : l’entrepreneuriat, le perfectionnement professionnel et le mentorat. Ces quatre volets ont tous joué un rôle dans le cheminement qu’a suivi Beatrice après l’obtention de son diplôme.
Ainsi, pour bien maîtriser son nouveau terrain de jeu, elle a mis à profit le volet « perfectionnement professionnel » en s’inscrivant à un cours en ligne de l’École d’éducation permanente de l’Université. Son choix : « Current Challenges in Global Food Security », formation interdisciplinaire sur l’insécurité alimentaire dans le monde mise au point en collaboration avec l’Institut pour la sécurité alimentaire mondiale Margaret-A.-Gilliam.
Cependant, c’est le volet « entrepreneuriat » du programme qui a véritablement pris Beatrice par surprise.
En effet, pendant son stage, elle a rencontré notamment un jeune entrepreneur qui tentait de trouver une solution à la déconnexion entre le petit exploitant agricole rwandais et le citadin qui consomme le fruit de son labeur. Cette quête l’a interpellée.
Ensemble, ils ont créé Food Bundles, jeune pousse agrotechnologique qui met à profit la norme USSD (fonctionnalité des réseaux téléphoniques mobiles facilement accessible) pour assurer un approvisionnement efficace en produits frais et connecter directement les agriculteurs aux consommateurs des grandes villes. Plateforme numérique assortie d’un service de livraison, Food Bundles est un moteur de résilience et de durabilité qui permettra aux agriculteurs de mieux gagner leur vie, d’une part, et améliorera l’accès aux aliments frais et abordables en milieu urbain, d’autre part.
Forts de l’encouragement et du soutien de l’équipe de Transitions, Beatrice et son partenaire d’affaires se sont inscrits à la Coupe Dobson de 2021 et sont arrivés en deuxième place dans la catégorie « Entreprises écoresponsables ». « Je n’arrivais pas à le croire. Ils nous ont donné une solide tape dans le dos », lance Beatrice.
Depuis, elle a soumis une demande de fonds d’amorçage au programme Transitions afin de pouvoir embaucher et former des employés pour les services d’entreposage et d’emballage de Food Bundles. En outre, sa mentore, Eliane Ubalijoro, lui a proposé de jeter un coup d’œil à sa présentation sur Food Bundles et de la faire relire par un investisseur en capital de risque afin qu’il puisse l’aider à aller chercher des bailleurs de fonds.
Eliane Ubalijoro souligne que cette collaboration est tout aussi enrichissante pour elle que pour Beatrice. « Grâce à Beatrice, nous avons pu nouer des liens au Rwanda, notamment en alimentation, en agriculture et en intelligence artificielle; elle a un très bon réseau là-bas. »
« C’est un mentorat mutuel : elle me fait découvrir des jeunes qui font des trucs formidables et moi, je la mets en rapport avec des experts capables de l’épauler », résume-t-elle. Eliane Ubalijoro a d’ailleurs recruté Beatrice récemment pour un stage au sein d’un pôle de recherche interdisciplinaire appelé « Future Earth ».
Un réseau mondial de diplômés africains
« Le programme Transitions m’a appris quelque chose que tous les boursiers devraient savoir, à mon avis : où qu’on soit, on a la possibilité d’accomplir de grandes choses », affirme Beatrice.
Raphael Ajima, administrateur du programme Transitions, prend régulièrement des nouvelles des boursiers et est souvent admiratif devant leur métamorphose. « Selon moi, l’un des effets directs de notre programme est le courage et la confiance qu’il donne aux étudiants en leur faisant prendre conscience des atouts qu’ils possèdent déjà en eux. L’un d’eux peut se dire : “Tiens, si je devenais exploitant agricole, je pourrais faire un tas de choses” », explique Raphael, lui-même ex-boursier de la Fondation MasterCard.
La dernière année a été incroyablement formatrice pour Beatrice Ayinkamiye, et l’équipe de Transitions souhaite faire vivre ce type d’expérience d’apprentissage à de nombreux autres diplômés africains. Dans cette optique, elle a récemment mis sur pied le Réseau des diplômés africains de McGill pour encourager les McGillois ayant des contacts en Afrique à participer à des initiatives qui aideront les boursiers de la Fondation MasterCard à prendre leur envol après l’obtention de leur diplôme.
Parmi ces initiatives, notons le nouveau programme Mentorat de Transitions. L’objectif est ici de recréer le lien porteur qu’Eliane et Beatrice ont noué. On invite des diplômés ayant habité, travaillé ou investi en Afrique à agir comme mentors auprès d’un étudiant en voie d’obtenir son diplôme ou l’ayant obtenu récemment (pendant quatre mois au départ, avec possibilité de poursuivre la relation si le mentor et son protégé le souhaitent).
« Je trouve ce programme génial, surtout actuellement, en période de COVID », fait observer Eliane Ubalijoro, qui voit dans le programme Transitions un outil de réseautage permettant aux boursiers de tisser des liens avec des professionnels à pied d’œuvre partout sur la planète pour changer les choses.
« L’énergie, l’enthousiasme et l’intelligence de ces jeunes sont, à mes yeux, de très bon augure pour la suite des choses en Afrique », conclut-elle.
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