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Je Donne

Quand la technologie réinvente la pratique musicale

À l’École de musique Schulich, une installation ingénieuse recrée l’ambiance de la scène pour les étudiants

Woman with a baton standing in front of florescent instruments

Récemment, Leah Weitzner, soprano et étudiante en musique ancienne, a revêtu sa tenue de concert et a chanté dans une pièce vide du huitième étage du Pavillon de musique Elizabeth-Wirth.

« Je sentais la lumière insistante sur mon visage et j’étais un peu nerveuse parce que j’avais l’impression d’être sur scène », se rappelle Leah Weitzner. Elle fait partie des quelques personnes qui ont fait l’essai du nouveau laboratoire d’interprétation aménagé au Centre interdisciplinaire de recherche en musique, médias et technologie (CIRMMT) en janvier 2021.

Ce laboratoire est une création du professeur Aaron Williamon, directeur du Centre for Performance Science au Royal College of Music (RCM) de London, et professeur émérite invité à la chaire de musique de l’École de musique Schulich, poste financé par la Fondation Schulich.

On dit qu’un musicien doit accumuler 10 000 heures de pratique pour maîtriser son art. Or, pour Aaron Williamon, cette théorie bien connue ne dit pas tout. « Il ne suffit pas d’emmagasiner les heures de pratique; il faut consacrer à son art des heures de qualité », précise-t-il.

Parmi les éléments qui ont une influence sur la qualité de la pratique, il y a le lieu. Aaron Williamon explique que les salles de répétition sont généralement des lieux ternes et sans surprises qui n’ont rien de comparable à l’atmosphère stimulante d’une salle de concert. Les étudiants y perfectionnent leur technique, mais ils n’y apprennent pas à gérer le stress ressenti pendant une prestation.

Leah Weitzner

Leah Weitzner a été l’une des premières personnes à faire l’essai du laboratoire d’interprétation de l’École de musique Schulich à l’hiver 2021.

Pour tenter de faire le pont entre la répétition et la prestation, Aaron Williamon a mis au point une simulation pour les étudiants en musique du RCM en s’inspirant de méthodes utilisées pour la formation des chirurgiens à l’Imperial College London, situé tout près.

« Nous avons découvert que le degré de changements physiologiques qui s’opèrent avant une performance dans l’environnement de simulation est comparable à celui qu’on observe avant une vraie prestation », révèle Aaron Williamon, qui a utilisé des électrocardiogrammes pour mesurer les variations du rythme cardiaque des musiciens avant et pendant la simulation.

Aujourd’hui, avec l’aide de collègues à l’École de musique Schulich, il fait connaître son exercice de simulation révolutionnaire aux étudiants de McGill.

Prestation en environnement de simulation

« C’est probablement ce qui se rapproche le plus d’une prestation en situation réelle », affirme Leah Weitzner, impressionnée par sa première expérience dans cet environnement.

Lorsqu’elle a mis les pieds dans le laboratoire, Leah s’est retrouvée dans des coulisses où des écrans lui montraient des spectateurs en attente de sa prestation. Elle pouvait les entendre bavarder de l’autre côté du rideau.

Aaron Williamon explique que cette arrière-scène, la présence d’un directeur de coulisses et les images d’un auditoire transmises par un système de télévision en circuit fermé contribuent à créer l’illusion. « Tout ça aide l’interprète à se mettre dans le même état d’esprit qu’avant une véritable prestation. »

Sous les applaudissements, Leah entre sur scène et voit son auditoire sur un grand écran de télévision placé de façon à lui donner l’impression qu’elle regarde vers le bas, depuis une scène. Elle commence par chanter a cappella, puis elle s’accompagne à la viole de gambe.

Schéma de la salle de simulation au Royal College of Music de Londres

Schéma de la salle de simulation au Royal College of Music de Londres, qui a servi de modèle pour le laboratoire d’interprétation à l’École de musique Schulich.

Pendant toute sa prestation, Leah s’étonne de la réactivité de ses spectateurs. « Beaucoup de gens se balançaient doucement, comme s’ils m’entendaient en temps réel et suivaient le rythme de ma chanson, avoue-t-elle. Je ne sais pas comment c’était possible, mais cette expérience avait un côté étrangement réel. »

Isabelle Cossette, professeure agrégée en enseignement de la musique à l’École Schulich et ancienne directrice du CIRMMT, organise ces séances. Elle précise que pour ne pas nuire à l’illusion, elle ne révèle pas la nature exacte de l’auditoire interactif aux étudiants.

Toutefois, la professeure demande aux étudiants s’ils veulent que les spectateurs réagissent de façon positive, négative ou neutre. Pour sa part, Leah a choisi l’autre option possible : une réaction mixte. On peut aussi ajouter des bruits, comme la sonnerie d’un cellulaire ou des toussotements, afin que les musiciens s’habituent à jouer malgré les distractions.

Chasser l’anxiété

En démarrant ce projet, Aaron Williamon souhaitait créer un lieu où les musiciens pourraient apprendre à gérer leur trac. Mais au fil du temps, il a remarqué que les étudiants voulaient aussi travailler d’autres aspects de leur art, comme apprendre à tenir un archet avec grâce ou améliorer leur présence scénique. La simulation est devenue un outil pédagogique complet.

Isabelle Cossette utilise la simulation dans son cours de stratégies de pratique, et elle aimerait que d’autres professeurs de McGill lui emboîtent le pas. « Les étudiants jouent, puis ils discutent avec leur professeur de tous les aspects de leur prestation : anxiété, comportement sur scène, prestance, concentration, mémoire. »

Leah a particulièrement aimé recevoir un enregistrement vidéo de sa prestation et pouvoir l’analyser dans le cours d’Isabelle Cossette. « J’ai beaucoup appris sur mes compétences d’interprète et sur l’état d’esprit qui m’habite quand je suis sur scène. »

La simulation a aussi été un outil très utile pendant la pandémie puisque les concerts en présentiel ont disparu. « C’est aussi pour ça que j’avais envie de tenter cette simulation. Le sentiment que m’a procuré le fait de rejouer devant un auditoire a rendu l’expérience vraiment extraordinaire », affirme l’étudiante.

Leah aimerait maintenant jouer devant un jury d’audition, deuxième option offerte aux musiciens dans le laboratoire d’interprétation. « Je n’ai passé aucune audition au cours de la dernière année, et j’aimerais me rappeler ce que ça fait de jouer devant trois personnes qui ont les yeux braqués sur moi. »

Une approche globale à l’enseignement de l’interprétation musicale

Le laboratoire d’interprétation fait partie d’un grand projet dirigé par Aaron Williamon et Isabelle Cossette, l’Initiative en sciences de la performance, collaboration multidisciplinaire ambitieuse entre l’École de musique Schulich, le CIRMMT et plusieurs autres départements de McGill.

Pour voir les choses autrement, on part du principe que les musiciens peuvent apprendre en étudiant la façon dont on aborde la « performance » dans d’autres domaines comme la médecine et les sciences du sport.

Pour illustrer les grands défis de cette initiative, Aaron Williamon parle de l’amélioration de la santé et du bien-être des musiciens, chez qui le jeu instrumental provoque des douleurs aussi intenses que celles que ressentent les athlètes qui pratiquent des sports de contact.

Isabelle Cossette admet que le modèle maître-apprenti classique occupe toujours une place importante dans la formation des musiciens, mais elle aimerait voir émerger une tendance vers des « stratégies interdisciplinaires fondées sur des données qui feront entrer l’enseignement de la musique dans le xxie siècle ». Elle se dit qu’un jour, les musiciens seront entourés d’une équipe d’entraîneurs aux spécialités différentes, comme dans le monde des sports professionnels.

« À McGill, nous voulons créer un environnement d’apprentissage sûr et productif où la pratique de la musique sera soutenue tantôt par la technologie, tantôt par la science, tantôt par les sciences humaines. Il s’agit d’une approche multidisciplinaire à la formation de musiciens de haut niveau », ajoute la professeure. Et le laboratoire constitue un pas dans la bonne direction. »

Le laboratoire d’interprétation fait partie des projets novateurs que l’École de musique Schulich met en œuvre pour réimaginer l’avenir de la performance musicale, avec l’aide des donateurs. Complément d’information