L’hiver 2020 a plongé le monde dans une terrifiante incertitude. Quand une pandémie sans précédent a déferlé sur la planète, personne ne pouvait prédire si les hôpitaux de Montréal et leurs équipes héroïques complètement submergées tiendraient le coup ni si les scientifiques parviendraient rapidement à développer l’antidote.
L’humanité craignait de voir le monde s’écrouler.
Il y avait à ce moment un homme qui ne faisait pas les manchettes, un avocat octogénaire qui gérait l’héritage de 100 millions de dollars d’une veuve solitaire qui avait récemment rendu l’âme. Cet amoureux de Montréal s’était toujours retroussé les manches pour soutenir sa ville quand les autres baissaient les bras.
Paul Marchand, diplômé de l’Université McGill (BCL 1966, LL.M. 1985), préside la Fondation Doggone depuis sa création en 2012 par la Montréalaise Elspeth McConnell pour donner sa fortune dans les dix années suivant son décès. M. Marchand a investi ces fonds pour renforcer les capacités cliniques, de recherche et d’enseignement à l’Université McGill quelque temps avant l’apparition de la COVID-19. D’après son entourage, c’est parce qu’il savait écouter et qu’il croyait à l’importance d’investir dans les personnes que son alma mater et sa ville ont pu recevoir cet énorme don providentiel.
En effet, deux ans auparavant, M. Marchand s’était intéressé aux propos d’un spécialiste des maladies infectieuses qui affirmait que les antibiotiques et les vaccins devenaient inefficaces contre les nouveaux pathogènes, et qu’une pandémie mondiale serait inévitable. Et il a entendu l’appel des hauts responsables du milieu de la santé à une injection rapide de fonds privés, sans lesquels le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) ne verrait peut-être jamais le jour.
Enfin, au beau milieu de la crise sanitaire, il a pris conscience du rôle crucial du personnel infirmier dans le système de santé et a reconnu l’urgence d’offrir plus de formations et de raisons de ne pas quitter la profession.
Tous les établissements et les programmes qu’il a contribué à mettre sur pied en étroite collaboration avec la directrice de la fondation, Susan Avon, ont eu d’immenses retombées sur le système de santé et la médecine.

De gauche à droite : Susan Avon, Paul Marchand, Chris Buddle, Anita Gagnon et Laura Winer.
L’importance d’investir dans les personnes
« Je crois que M. Marchand a compris l’importance d’investir dans les personnes, et non pas seulement dans l’immobilier et l’équipement, et j’espère que beaucoup d’autres feront le même constat », a déclaré le Dr Marcel Behr (M.Sc. 1995, FMPD 1995), directeur de l’Initiative interdisciplinaire en infection et immunité de McGill (MI4), une collaboration de l’Université avec le Centre universitaire de santé McGill (CUSM), inaugurée en 2018 grâce à un don de la Fondation Doggone d’une valeur de 15 millions de dollars. « C’est facile d’acheter une machine qui fait X, Y et Z, mais bien plus compliqué de trouver une personne qui saura s’en servir, illustre le Dr Behr. Paul a compris que nous construisions des infrastructures, mais qu’il ne s’agissait pas d’équipements ni de briques et de mortier. Il s’agissait de personnes capables de soutenir des programmes de recherche à grande échelle. »
MI4 est reconnue pour sa contribution à la recherche sur la COVID-19, notamment à la création de nouveaux tests et de nouvelles stratégies de dépistage, à des essais cliniques de nombreux traitements potentiels et au développement d’un vaccin. L’initiative est née de l’appel pressant du Dr Donald Sheppard (FMPD 1995), qui est venu vers M. Marchand en 2018 avec une sinistre prédiction : « La question n’est pas de savoir s’il y aura une pandémie mondiale, mais de savoir quand. »
Le Dr Sheppard, avec le Dr Behr et la Dre Marie Hudson (BCL/LL.B. 1988, MDCM 1996, FMPD 2002), avait une vision pour se préparer à l’inévitable : regrouper les chercheuses et chercheurs en infectiologie et en immunologie qui travaillent généralement en solitaires – un problème courant dans le milieu de la recherche. La Fondation Doggone était donatrice de longue date à McGill et à ses hôpitaux en soutien à d’autres domaines de recherche médicale, et M. Marchand, diplômé dévoué de la Faculté de droit, représentait la promotion de 1966 depuis un demi-siècle. Il a accepté de fournir les capitaux de lancement de cet ambitieux projet.
Le Dr Behr souligne que, grâce à ces précieux fonds, « nous connaissions déjà les personnes [clés] quand la COVID-19 a frappé. Nous avions établi des liens de collaboration, de sorte que nous pouvions leur proposer les expertises nécessaires pour faire telle ou telle chose. Ce don nous a offert une période de préparation. »
Il était déjà prévu de créer une zone sécurisée dans le laboratoire pour l’étude de pathogènes dangereux. Profitant de sa longueur d’avance, MI4 a pu rapidement embaucher quelques personnes pour cultiver le virus et transmettre son ARN à l’équipe d’ingénierie pour le développement d’un nouveau test diagnostique. Et, puisque l’initiative englobait aussi le CUSM, les chercheuses et chercheurs ont pu utiliser les cultures cellulaires pour tester l’efficacité de différents médicaments afin d’aider les médecins en milieu hospitalier à choisir les traitements adéquats.
« C’était un immense avantage pour les hôpitaux, qui nous évitait d’essayer des traitements au hasard, commente le Dr Behr. Nous avons pu établir des protocoles très prudents. Il est beaucoup plus sensé de faire les essais [en laboratoire] pour trouver les traitements qui fonctionnent que d’administrer à des centaines de milliers de personnes des médicaments non testés. »
Sans le soutien de la Fondation Doggone, « les chercheuses et chercheurs auraient probablement travaillé de manière isolée, et ç’aurait pu être le chaos », conclut-il.
Même dans les meilleures conditions, il est difficile de faire passer les percées scientifiques du laboratoire au chevet des malades. M. Marchand estime qu’à ce jour, l’apport le plus important de la Fondation Doggone à la lutte contre la pandémie a été l’investissement de 10 millions de dollars pour renflouer le projet du site Glen du CUSM, qui a finalement ouvert ses portes en 2015.
« En 2014, les gens désertaient Montréal, y compris les médecins et les scientifiques, et les perspectives étaient peu réjouissantes; le chantier du site Glen n’était pas terminé, et on doutait même que le Centre voie le jour, se souvient-il. Le projet avait reçu de nombreux dons, mais le nôtre est arrivé à la fin, quand son achèvement était compromis, comme de nombreux autres projets hospitaliers à Montréal. »
Au secours de la profession infirmière au Québec
Comme l’a fait remarquer le Dr Behr, Paul Marchand avait compris que l’infrastructure englobe le personnel. Il tenait absolument à faire quelque chose pour la profession infirmière. Avec Susan Avon, il a injecté ces dernières années 1,8 million de dollars au profit de l’École des sciences infirmières Ingram (ESII) de l’Université McGill, la toute première au Québec à offrir un programme de baccalauréat en sciences infirmières en ligne.
Ce programme permet à des titulaires d’un diplôme d’études collégiales en soins infirmiers de poursuivre leur formation sans avoir à quitter leur ville pour aller étudier à Montréal.
Cette initiative remplit les deux volets du mandat d’une université, soit l’aspect social et l’enseignement, comme le fait observer Oxana Kapoustina (B.Sc. 2007, diplôme en environnement 2007, M.Sc. 2010, M.Sc.A. 2012), professeure adjointe, qui codirige le programme de baccalauréat en sciences infirmières avec sa collègue Mélanie Gauthier, également professeure adjointe.
« En plus de dispenser une bonne formation, ce programme [renforce] le contrat social en grossissant les effectifs infirmiers dans les régions, explique la professeure Kapoustina, responsable du programme en ligne. Ce n’aurait pas été possible sans le don de la Fondation. »
La toute première cohorte, en 2021, comptait 72 étudiantes et étudiants. Depuis, les inscriptions ont doublé. Le programme a incité beaucoup de personnes à poursuivre leurs études pour devenir infirmières praticiennes et infirmiers praticiens. Ces personnes profiteront des bienfaits de la vision de Paul Marchand, par exemple les Laboratoires de soins infirmiers cliniques Satoko Shibata. Dès 2018, la Fondation Doggone a commencé à investir dans la transformation des anciens laboratoires d’apprentissage de l’ESII pour créer ces installations de pointe comportant de plus grandes unités de laboratoire, plusieurs salles de simulation, 24 lits, une unité de soins intensifs et 18 caméras haute définition.
Elspeth McConnell nous a quittés en 2017. Sa fondation, qu’elle a nommée en l’honneur de ses deux chiens, devrait être dissoute en 2025, quand tous les fonds auront été versés à des projets dans des domaines comme la médecine, les arts, l’éducation et la sécurité sociale, dans la région de Montréal et en Colombie-Britannique.
« Je suis fier d’avoir fait partie de la Fondation Doggone et heureux d’avoir été l’ami d’Elspeth McConnell jusqu’à la fin de sa vie, écrivait Paul Marchand dans un récent article. Tout comme elle, la Fondation a toujours été à l’avant-garde, en donnant plus de ses fonds, plus tôt et aux initiatives qui en avaient le plus besoin. »
Quand on repense aux années de pandémie à Montréal, on songe à cette multitude d’héroïnes et de héros et de vies sauvées grâce à l’agilité du milieu de la recherche et du milieu hospitalier, qui ont su tenir le coup. Bon nombre de celles et ceux qui étaient aux premières lignes se souviennent aussi de Paul Marchand, d’Elspeth McConnell et de Susan Avon, ces visionnaires qui, par leur amour inconditionnel de leur ville, l’ont empêchée de s’écrouler.