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Je Donne

Des conversations éclairantes

Plus de 600 personnes ont assisté à l’événement inaugural de la série Conversations : parrainées par Charles Bronfman

From left: Luis Roberto Barroso, Rosalie Silberman Abella, LLD’99, Vikas Swarup, Nahlah Ayed.
Photo: Owen Egan and Joni Dufour

Une lettre ouverte publiée récemment dans le Globe and Mail exhortait la classe politique du Canada à prendre des mesures pour freiner la montée de l’agressivité et le déclin de la civilité dans le discours public. Ses 51 signataires, allant d’artistes à d’anciennes figures de la politique comme Jean Charest, appelaient au respect et à la tolérance en ces temps marqués par les clivages. 

« Le déclin de la civilité est le symptôme d’un profond malaise, alerte Daniel Béland, directeur de l’Institut d’études canadiennes de McGill (IECM). On constate avec la montée du populisme une remise en question des droits de la personne et des minorités. Le phénomène est mondial. Au Canada, il se manifeste notamment dans les débats sur le recours à la clause dérogatoire. » 

Dans ce contexte, il allait de soi que le premier événement de la série Conversations : parrainées par Charles Bronfman, organisé par l’IECM le 8 avril, s’intitule « La menace contre la civilité et la lutte pour la démocratie libérale ». 

À cette occasion, plus de 600 personnes se sont rassemblées au Centre Mont-Royal, au centre-ville. Nahlah Ayed, animatrice de l’émission Ideas à CBC Radio One, a modéré une discussion de 90 minutes entre Luis Roberto Barroso, président de la Cour suprême du Brésil qui s’est opposé à l’ancien président populiste, Jair Bolsonaro; l’ancien haut-commissaire de l’Inde au Canada, Vikas Swarup (également auteur du roman Les fabuleuses aventures d'un Indien malchanceux qui devint milliardaire, adapté au cinéma sous le titre Le pouilleux millionnaire); et Rosalie Silberman Abella (LL.D. 1999), ancienne juge de la Cour suprême du Canada et experte en matière de droits de la personne.

« C’est une conversation, ce n’est pas un débat ni une conférence, précise Daniel Béland. Il n’est pas question de polémiquer pour polémiquer, mais de trouver un terrain d’entente pour parler d’enjeux importants pour la population canadienne, en particulier ceux qui sont liés à la place du pays sur la scène mondiale. Cette première conversation a donné le ton de la série. » 

Charles Bronfman (B.A. 1950, LL.D. 1990), cofondateur de l’IECM, a lancé l’idée de cette série lors d’un dîner avec l’ancienne directrice de l’Institut et ex-doyenne des arts, Antonia Maioni. Il entrevoit l’initiative comme un moyen d’améliorer encore un bon établissement et souhaite que le thème de chaque année s’intègre dans le programme de l’IECM.

« Les situations lourdes de conséquences dans le monde doivent faire l’objet de discussions de haut niveau », affirmait M. Bronfman dans une entrevue. Le comité consultatif, présidé par Alex Johnston, membre du conseil d’administration de l’IECM, avocat et conseiller en matière de politiques, estime aussi que ces conversations doivent être accessibles au plus grand nombre. Un bon système démocratique repose sur l’engagement, l’information et le respect au sein de la population. 

Par son habituelle modération, le Canada est un modèle dans ce monde porté vers les extrêmes, et ces conversations jetteront un éclairage tempéré sur de grands enjeux. « Nous voulons éviter de véhiculer une conception manichéenne du monde, précise M. Bronfman. Ce n’est pas une question de gagnants et de perdants, mais une question d’avenir. »

« La démocratie est sérieusement menacée, poursuit-il, s’inquiétant du nombre de régimes autocratiques ou dictatoriaux. C’est très malsain. Une grande partie du monde vire à l’extrême droite. » Il croit que le Canada peut reprendre une position de leader sur la scène internationale, comme à l’époque où Brian Mulroney menait le combat pour la libération de Nelson Mandela. « Depuis, notre pays ne s’est plus tellement distingué, regrette-t-il. Nous espérons convaincre le gouvernement canadien de redonner au pays son rôle exemplaire. »

Bien qu’il vive maintenant aux États-Unis et qu’il ait la double nationalité, M. Bronfman soutient qu’il est Canadien de cœur. Il est aussi cofondateur d’Historica Canada, fier producteur des très populaires capsules Minutes du patrimoine.

« Le pays où mes grands-parents maternels et paternels ont choisi de s’installer a chaleureusement accueilli ma famille et lui a permis de prospérer, dit-il, reconnaissant. Le Canada est fascinant. Nous sommes un peuple modéré et nous prenons les choses au sérieux. » 
« C’est un merveilleux pays, répète-t-il. Le climat est rude, mais les gens sont chaleureux. »

« Le monde a besoin de plus de Canada »

Lors de l’événement, les panélistes ont souligné que le monde traverse une période difficile, marquée par la polarisation et les inégalités. L’indépendance de la justice est menacée, et les gens se méfient des médias d’information.

Du haut de ses 35 années d’expérience en diplomatie, Vikas Swarup affirme n’avoir jamais vu une escalade aussi rapide d’agitation géopolitique dans le monde, entre la crise des personnes réfugiées, le Brexit, l’invasion de l’Ukraine et l’inflation galopante. « C’est de la géopolitique sous stéroïdes », plaisante-t-il. Selon lui, les partis populistes montent dans les urnes parce qu’ils « exploitent l’insatisfaction des personnes laissées pour compte de la mondialisation, dont les revenus n’augmentent pas », et leurs leaders « surfent sur l’espoir – je vais rendre sa grandeur à l’Amérique, je vais vous ramener à l’âge d’or ». 

Le populisme autoritaire se nourrit des lacunes de la démocratie, renchérit Luis Roberto Barroso. « La démocratie n’a pas offert des chances égales ni apporté la prospérité à tout le monde. »  

Les médias sociaux contribuent au déclin de la civilité. Bien qu’il reconnaisse les avantages d’Internet, M. Barroso fait remarquer que les groupes se parlent entre eux. « Nous ne diffusons pas les faits communs, donc les gens se créent leurs propres histoires selon leurs préférences. » 

Rosalie Silberman Abella, qui est née dans un camp de personnes réfugiées et dont le frère a été tué dans l’Holocauste, rappelle que la démocratie « ne vous permet pas de dire n’importe quoi à n’importe qui et n’importe comment ».

« Nous n’irons nulle part si nous n’arrivons pas à comprendre que notre propre mieux-être dépend du mieux-être de tous les membres de la société, de l’intérêt général », ajoute-t-elle. 

M. Swarup avance quelques pistes de solution, comme l’intégration dans les écoles de cours abordant les questions de la civilité, de l’empathie et de la bonté, et, à court terme, un contrôle plus strict des médias sociaux. 

Mme Abella estime que les changements de comportement passeront par des lois, mais M. Barroso considère que c’est insuffisant. « Il faut aussi un mouvement social pour provoquer le changement. » 

Mme Abella abonde dans le même sens que M. Bronfman : « Le monde a besoin de plus de Canada. Nous devons montrer au reste du monde que la protection de la démocratie est une bonne chose. » Bien que les régimes autocratiques puissent aussi assurer la sécurité et le développement de l’économie, le Canada offre de surcroît « le droit de s’exprimer sans heurter les autres, le droit de participer pleinement à la société, le droit d’aspirer à ce qu’on veut pour soi et sa famille, et le droit d’espérer », souligne-t-elle.