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Un prix pour la recherche étudiante en astrophysique rend hommage à une pionnière

La célèbre astrophysicienne Victoria Kaspi a créé un prix récompensant la meilleure thèse de doctorat, nommé en l’honneur d’Allie Vibert Douglas, diplômée de McGill

Photo de groupe en noir et blanc

Allie Vibert Douglas (première rangée, dernière à droite), B.A. 1920, M.Sc. 1921, Ph.D. 1926, LL.D. 1960, avec les membres du Département de physique de l’Université McGill en 1937-1938

Photo : avec l’aimable autorisation du professeur Jean Barrette, Département de physique)

Allie Vibert Douglas a marqué l’histoire lorsqu’elle a décroché son doctorat à l’Université McGill. 

C’était en 1926, à une époque où très peu de femmes pouvaient prétendre à des études supérieures. 

Titulaire d’un baccalauréat ès arts et d’une maîtrise ès sciences de McGill, Allie Vibert Douglas a été décorée de l’Ordre de l’Empire britannique pour son service pendant la guerre. Elle a été la première femme canadienne à obtenir un doctorat en astrophysique.

Cette remarquable scientifique a reçu des honneurs au cours de sa vie et à titre posthume, notamment un doctorat honorifique de McGill en 1960. Le Conseil national des femmes juives du Canada l’a classée parmi les 11 femmes du siècle au pays. Un astéroïde et un cratère sur Vénus portent son nom. Et pourtant, elle reste peu connue du public.

Quand Victoria Kaspi, professeure de physique et directrice de l’Institut spatial Trottier, a généreusement créé un prix pour récompenser la meilleure thèse de doctorat en astrophysique à McGill, elle a décidé de célébrer la mémoire de cette astrophysicienne d’exception, qui s’est éteinte en 1988, en lui donnant son nom. 

Lors d’une cérémonie en mai dernier à l’Institut spatial Trottier, le tout premier prix Allie-V.-Douglas a été remis à Hope Boyce (M.Sc. 2018, Ph.D. 2023), en présence de sa directrice de thèse, la professeure Daryl Haggard, et de huit membres de la famille Douglas.

La professeure Kaspi précise que cette distinction récompense la meilleure thèse de doctorat, sans égard au genre de la personne qui en est l’auteure. « Cela dit, je suis heureuse que le premier prix soit décerné à une femme, en écho aux grandes réalisations de la professeure Douglas, et pour souligner les progrès accomplis par les femmes dans les domaines de l’astrophysique et des autres sciences », confie-t-elle. 

C’est son collègue Jean Barrette, aujourd’hui professeur émérite, qui lui a fait découvrir Allie Vibert Douglas. En examinant les photos d’archives des membres du personnel du Département de physique de McGill, il a remarqué cette femme assise au premier rang, aux côtés d’éminents professeurs comme John Stuart Foster et David Arnold Keys. 

« Elle a écrit des articles très intéressants [à McGill], et je ne comprends pas pourquoi l’Université ne l’a jamais promue au rang de professeure », a-t-il dit à la professeure Kaspi en lui faisant part de sa découverte.

Remise du prix à l'Institut spatial Trottier le 9 mai 2024

De gauche à droite : Professeure Daryl Haggard, Hope Boyce, et Professeure Victoria Kaspi. Remise du prix à l’Institut spatial Trottier, le 9 mai 2024.

Photo: Jasmine Rochereul

« Personne au sein du Département n’avait entendu parler de cette pionnière exceptionnelle », s’étonne-t-elle.

« J’étais fascinée par son histoire, poursuit-elle. En plus des articles qu’elle a cosignés au Département de physique avec John Stuart Foster, du Laboratoire de radiation Foster, elle a rédigé un article avec Sir Arthur Eddington », un célèbre astrophysicien britannique. Allie Vibert Douglas a également écrit une biographie de Sir Eddington, qui a été son professeur à Cambridge, et entretenu une correspondance avec Albert Einstein pendant ses recherches pour ce livre.

« J’étais choquée qu’une personne aussi accomplie et avant-gardiste n’ait pas eu la reconnaissance qu’elle méritait, particulièrement au sein de notre université, déplore la professeure Kaspi. Elle est tout simplement tombée dans l’oubli. Je voulais donc la sortir de l’anonymat. » Et c’est ce qu’elle a fait en donnant son nom au prix. 

La professeure Kaspi est une astrophysicienne de renommée mondiale maintes fois primée : elle a notamment reçu le Prix mondial des sciences Albert-Einstein en 2022, et elle est colauréate du prix Shaw en astronomie 2021.

« J’ai voulu redonner à mon alma mater, parce qu’elle a soutenu ma recherche, souligne-t-elle. Je tenais aussi à remercier les étudiantes et étudiants des cycles supérieurs, qui sont les forces vives de mes travaux. Leur soutien est essentiel. » 

Un prix comme celui-ci confère un rayonnement international à une thèse et un atout de taille dans un CV. « C’est pour moi le meilleur moyen de rendre un hommage mérité [à Allie Vibert Douglas] tout en offrant un tremplin à des chercheuses et chercheurs en astrophysique promis à une brillante carrière », résume la professeure Kaspi.

Une thèse sur les trous noirs supermassifs

Hope Boyce est enchantée de cette marque de reconnaissance du Département de physique. « Je suis extrêmement reconnaissante à la professeure Vicky Kaspi pour sa générosité, et à ma directrice de thèse, la professeure Daryl Haggard, pour son mentorat et pour l’enthousiasme et l’esprit d’entraide qu’elle nourrit au sein de notre groupe, déclare-t-elle. Je dois ma réussite à ses précieux conseils, ainsi qu’au généreux soutien de mes collègues et de l’ensemble de la communauté étudiante des cycles supérieurs. Notre travail en astrophysique d’observation a contribué un tout petit peu à enrichir nos connaissances collectives sur la nature, et j’ai une chance incroyable d’avoir pu y participer. »

Dans sa thèse, elle explore la dynamique des matières au cœur des galaxies, « plus particulièrement la matière qu’on appelle la “sphère d’influence”, explique sa directrice, Daryl Haggard, professeure agrégée en physique. Il s’agit de la région au centre d’une galaxie qui est sous l’influence gravitationnelle du trou noir supermassif. »

Elle ajoute que l’un des aspects les plus extraordinaires de la thèse de Hope Boyce, c’est sa participation à la découverte de la première image du trou noir supermassif au centre de la Voie lactée, dans le cadre de l’Event Horizon Telescope, une collaboration internationale réunissant plus de 300 chercheuses et chercheurs.  

« Hope Boyce était une auteure principale au sein de l’équipe de publication de nos données qui a examiné cette magnifique première image du trou noir supermassif, et qui l’a observé à différentes longueurs d’onde », précise la professeure Haggard.

« Elle a apporté une contribution unique à cette collaboration de grande envergure en examinant la dynamique des gaz à différentes longueurs d’onde au cœur même de la Voie lactée. »

Un précieux héritage

L’héritage d’Allie Vibert Douglas vit aujourd’hui à McGill, près d’un siècle après l’obtention de son doctorat à la faculté où elle a ensuite enseigné durant de nombreuses années sans jamais obtenir un poste de professeure permanente.

Elle et son frère, nés à Montréal, ont perdu leurs parents très tôt et ont été élevés par leur grand-mère et leurs tantes maternelles. Selon son petit-neveu Stephen Douglas, qui a assisté à la remise du prix en compagnie de ses frères et sœurs et d’autres membres de la famille, c’est leur tante Mina Douglas, elle-même pionnière, qui a incarné la figure de mère auprès des deux enfants. En effet, elle a été la première femme diplômée de McGill, en 1877, avant de cofonder l’établissement qui deviendra plus tard la Mission Old Brewery de Montréal.

Allie Vibert Douglas a mis ses études entre parenthèses durant la Première Guerre mondiale pour travailler comme statisticienne au ministère de la Guerre, à Londres, ce qui lui vaudra la distinction de l’Ordre de l’Empire britannique.

L’album des finissants d'Allie Douglas

Allie Vibert Douglas dans l’album des finissants de la promotion 1916 de McGill.

En 1939, après une vingtaine d’années à enseigner au Département de physique de McGill, elle a quitté son poste pour devenir doyenne des femmes, puis professeure d’astronomie à l’Université Queen’s. De plus, elle a été la première femme à diriger la Société royale d’astronomie du Canada.

Mue par le désir de vulgariser la science, la professeure Douglas a donné des conférences publiques. En 1932, en prévision d’une éclipse totale du soleil à Montréal, elle a coécrit un livret expliquant le phénomène au public.

« Elle a touché un auditoire et développé d’excellentes compétences en rédaction scientifique, et elle a publié un article dans The Atlantic Monthly », note Stephen Douglas.

Son frère Dan et lui ont exprimé leur reconnaissance pour avoir donné le nom de leur grand-tante à ce prix. Leur père, récemment décédé, « était très ému de cet hommage », souligne Stephen Douglas.

« C’est un geste d’une immense générosité de la part de la professeure Kaspi, renchérit Dan Douglas. Nous avons toujours estimé que tante Allie méritait une reconnaissance. Elle a toujours offert un soutien extraordinaire à ses étudiantes et étudiants et elle a longtemps enseigné à McGill. » 

« Je pense que ce prix récompense l’ensemble de sa vie », conclut-il.