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Je Donne

Reconnaître le pouvoir curatif de la recherche

Des étudiantes et étudiants autochtones des cycles supérieurs de McGill élargissent notre compréhension de ce à quoi la recherche peut et doit ressembler grâce à la bourse Rathlyn.

Wahéhshon Whitebean, Karen Martin and Dane Malenfant

Dans le milieu universitaire, on encourage plutôt les chercheuses et chercheurs à laisser de côté leurs histoires personnelles afin d’aborder leurs questions de recherche avec le moins d’a priori que possible. 

Cependant, pour un grand nombre de personnes d’origine autochtone, en particulier celles qui travaillent au sein de leur communauté, cette approche détachée de leur réalité peut s’avérer contre-productive. 

« Je sais qu’il y a certains chercheurs qui aiment croire qu’ils sont objectifs, mais ultimement, selon moi, il s’agit d’un travail d’histoire. On rassemble beaucoup de faits pour raconter une histoire au final », explique Wahéhshon Whitebean, membre du clan du loup de la Nation Kanien'kehá:ka à Kahnawà:ke.

Wahéhshon Whitebean est candidate au doctorat en études éducatives et a reçu la bourse Rathlyn en 2023, décernée à des étudiantes, étudiants autochtones des cycles supérieurs dont les travaux se penchent sur des réalités autochtones au Canada.

Elle termine actuellement sa thèse sur les externats autochtones de Kahnawà:ke, lesquels visaient à priver les enfants autochtones de leur langue et de leur culture. « Les enfants autochtones ont été plus nombreux à fréquenter les externats que les pensionnats autochtones, mais nous savons encore peu de choses sur leurs expériences », explique la doctorante dans son mémoire de maîtrise sur le sujet.

Wahéhshon Whitebean

Wahéhshon Whitebean a également reçu une bourse Vanier et une bourse Tomlinson pour son travail de recherche sur les externats autochtones.

Essentiellement, dans le cadre de ses recherches, Wahéhshon Whitebean prend le temps de s’asseoir avec d’anciens élèves de ces externats et d’écouter leurs récits. D’ailleurs, la plupart de ces personnes se confient pour la toute première fois.

Consciente que de replonger dans de tels souvenirs peut raviver certains traumatismes, elle veille à ne pas orienter la discussion. « Les personnes vont là où elles en ont besoin, là où elles en ont envie, et l’histoire qui en ressort est celle qu’elles choisissent.

La doctorante explique qu’il existe une « fascination pour la souffrance des Autochtones » et elle ne souhaite surtout pas que son travail renforce cette image. Au contraire, elle met en lumière la résilience de sa communauté et montre comment son peuple s’est battu.

« J’espère que les gens ne verront plus uniquement notre résilience du point de vue de la douleur et du traumatisme par rapport à ce que nous avons subi, mais qu’ils prendront connaissance des moyens que nous avons mis en œuvre pour surmonter les épreuves et de la façon dont nous nous développons en tant que peuple », explique la chercheuse.

Bien que Wahéhshon Whitebean ait commencé l’école à Kahnawà:ke pendant la période de transition vers une éducation offerte par les communautés, elle a néanmoins fréquenté deux établissements qui fonctionnaient toujours comme des externats autochtones selon les dossiers. 

« Ce processus a été très salutaire pour moi, parce que j’ai dû avoir une conversation avec moi-même pour me dire que je n’étais plus cette petite écolière impuissante, blessée. Aujourd’hui, je suis chercheuse. J’ai les capacités de colliger tous ces récits et de raconter l’histoire de qui nous sommes comme peuple et de dire ce que les externats nous ont fait subir.

Wahéhshon Whitebean raconte que la bourse Rathlyn est arrivée au bon moment, alors qu’elle se sentait submergée par les pressions de la recherche, du travail et de la maternité. « Recevoir la bourse Rathlyn m’a rappelé tout le soutien que j’avais eu jusqu’alors, et c’était une façon de me dire : continue, ne lâche pas ».

Offertes dans le cadre du programme d’études autochtones, les bourses Rathlyn ont été créées par l’homme d’affaires et philanthrope Roger Warren, LL.D. 2021, et sa regrettée épouse, Mary Warren, qui ont doté plusieurs bourses dans diverses facultés de McGill.

« Celles et ceux qui donnent à la bourse Rathlyn ont toute ma gratitude, a révélé la doctorante. Cette bourse et bien d’autres du même type m’ont permis d’avoir une chance équitable dans le monde universitaire. »

Préserver la culture grâce à la langue

Karen Martin, B. Éd. 2020, l’une des boursières Rathlyn de 2024, a aussi un lien très personnel avec son travail de recherche sur la revitalisation des langues.

À l’âge de deux ans, Karen Martin a été expulsée de sa communauté mi’gmaw pendant la rafle des années 1960 et a été élevée par des parents canadiens-français. Coupée de ses racines pendant la majeure partie de son enfance, elle a vécu et parlé comme une Canadienne française.

À l’âge de huit ans, elle a réintégré sa communauté de Gesgapegiag et a commencé à renouer avec sa langue et sa culture.

« Les Aînés de la communauté, les enseignants qui parlaient la langue m’ont prise sous leur aile, explique l’étudiante à la maîtrise. J’ai tissé des liens tellement forts avec ma communauté grâce à la langue que ma trajectoire a vraiment changé par rapport à ce que je pensais être et par rapport à ce que j’allais devenir. »

Aujourd’hui, Karen Martin travaille à simplifier l’apprentissage de la langue. Entre autres, elle a créé une base de données de conjugaison des verbes mi’gmaw dans le cadre de ses études de maîtrise en éducation et société.

« Si vous ne savez pas conjuguer, vous ne pouvez pas parler le mi’gmaw. C’est aussi important, sinon plus, qu’un dictionnaire », soulève l’étudiante, qui explique que le mi’gmaw est une langue basée sur les verbes.

Photo de la remise des diplômes de Karen Martin à McGill

Karen Martin a fait partie du programme communautaire de baccalauréat en éducation de McGill à Listuguj.

Afin de constituer la base de données, chaque conjugaison a été vérifiée par un comité formé d’Aînés dont la langue maternelle est le mi’gmaw.

« C’est en partageant des souvenirs et des scénarios d’usage et aussi en discutant que les conjugaisons ont été mises à l’épreuve et acceptées par consensus », explique Karen Martin dans son guide de base de données.

Bien au fait que ce n’est pas tout le monde qui puisse apprendre directement des Aînés, l’étudiante à la maîtrise espère que sa base de données facilitera l’accès aux ressources linguistiques mi'gmaw et aidera les enseignantes et enseignants à élaborer des cours.

La bourse Rathlyn a permis à Karen Martin « de consacrer le temps et l’attention que ce projet méritait » et aussi d’organiser une fête pour remercier les Aînés qui ont contribué à ses travaux.

« C’était vraiment bien de pouvoir leur offrir ce moment et aussi de leur montrer à quel point j’étais reconnaissante. Mais ce n’est pas tout, cette fête, c’était aussi McGill qui les considérait pour leur travail. Même s’ils n’ont pas de diplôme, ils ont de nombreuses connaissances qui sont essentielles à la revitalisation de la langue », explique Karen Martin.

Le savoir autochtone rencontre l’IA

Bien qu’il mène ses recherches loin de sa Saskatchewan natale, l’étudiant métis Dane Malenfant, B.A. 2022, intègre des connaissances traditionnelles des Autochtones des Plaines à l’intelligence artificielle (IA) dans le cadre de ses études.

Tout comme Karen Martin, il a reçu une bourse Rathlyn en 2024, mais ses travaux de recherche dans un laboratoire de McGill portent sur les neurosciences de l’IA et visent à déterminer s’il est possible d’entraîner l’IA à comprendre le principe de réciprocité.

« La réciprocité est un aspect essentiel de la culture des Autochtones des plaines, mais elle n’est pas vraiment enseignée de manière explicite ni par écrit. C’est quelque chose que l’on attend de vous », explique Dane Malenfant, qui est né à North Battleford (Traité n° 6) et a grandi à Regina (Traité n° 4).

Pour son projet, il s’est inspiré des représentations traditionnelles en bois connues sous le nom de manitokanac, lesquelles étaient utilisées par les peuples autochtones des plaines pour entreposer les ressources partagées lors de longs voyages.

« On s’attend à ce que vous donniez des choses dont vous n’avez pas besoin, ce qui permet le réapprovisionnement d’un secteur », explique Dane Malenfant. Et c’est ce que je veux que l’IA apprenne, c’est-à-dire que le fait de donner quelque chose dont elle n’a pas besoin lui sera profitable à l’avenir. »

« Si vous ne créez pas explicitement une structure qui encourage le concept de partage, l’IA se contentera de maximiser ses profits individuels, même si cela signifie qu’elle ne sera pas en mesure d’accomplir une tâche.

Dane Malenfant estime que la mise au point de systèmes d’IA capables de coopérer — à la fois avec d’autres IA et avec des humains — pourrait gagner en importance à l’avenir, à mesure que l’IA deviendra de plus en plus sophistiquée et répandue.    

Dane Malenfant lors d'une conférence

Dane Malenfant a participé à l’élaboration du programme Éclaireurs autochtones en IA de Mila — Institut québécois de l’intelligence artificielle.

En tant qu’étudiant à la maîtrise en science informatique, il fait partie de la minorité. Selon le Conference Board du Canada, moins de 2 % des personnes travaillant dans le domaine des STIM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques) sont d’origine autochtone.

Dan Malenfant a remarqué que le financement destiné aux Autochtones tend à se limiter aux domaines de la santé, de l’éducation et des arts. Il est reconnaissant que la bourse Rathlyn soit ouverte à tous les programmes.

Il affirme que la bourse a permis d’attirer l’attention sur ses recherches et sur la sous-représentation des perspectives autochtones dans les STIM — un problème qu’il s’efforce d’améliorer grâce à son implication dans le programme estival de mentorat et de recherche pour étudiantes et étudiants autochtones de McGill et le programme Éclaireurs autochtones en IA de Mila — Institut québécois de l’intelligence artificielle.

Selon Dane Malenfant, les connaissances autochtones ne s’inscrivent peut-être pas parfaitement dans la méthode scientifique, mais elles peuvent mener à « de nouvelles solutions ou, du moins, à de nouvelles avenues pour les entreprises et les quêtes scientifiques modernes ».

La recherche comme médicament

Repenser les attentes en matière de recherche universitaire fait partie des efforts de vérité et de réconciliation de McGill.

Dans les 52 appels à l’action formulés par le Groupe de travail du vice-principal exécutif sur les études et l’éducation autochtones, l’Université est encouragée « à reconnaître explicitement les autres modes non orthodoxes de transmission et d’échange du savoir ».

La professeure Celeste Pedri-Spade, vice-provoste aux initiatives autochtones de McGill explique pourquoi cette réflexion est essentielle.

« Pendant trop longtemps, les peuples autochtones ainsi que leurs savoir-faire et leurs savoir-être respectifs ont été réduits et déformés par des chercheurs et chercheuses non autochtones utilisant des théories et des méthodes qui ne correspondaient pas à nos propres traditions intellectuelles.

C’est incroyable et inspirant de voir ces jeunes Autochtones titulaires de la bourse de Rathlyn aborder leur recherche d’une manière qui leur est personnelle et significative, et qui élargit aussi notre compréhension de ce que la recherche peut et doit faire pour nos communautés respectives », a soulevé Mme Pedri-Spade.

Wahéhshon Whitebean, par exemple, considère que la recherche a un « pouvoir curatif » qui peut créer un espace de guérison pour les individus et les communautés.

« Ultimement, la recherche demande beaucoup d’introspection et d’autoréflexion, explique-t-elle. J’ai beaucoup appris sur moi-même et sur la façon dont j’ai été touchée personnellement. Par la suite, les retombées de cette démarche se font ressentir sur la communauté, sur la nation et même sur les générations suivantes. »