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Je Donne

Prêt pour l’avenir : Plaidoyer pour un Anthropocène meilleur

Elena Bennett de McGill veut que vous imaginiez un avenir radical, inspirant et réaliste pour notre planète

Elena Bennett, ecosystem ecologist

Quand vous pensez à la Terre dans 50 ans, comment l’imaginez-vous ? Des villes désolées, des forêts brûlées, des océans morts, une biodiversité perdue ? Elena Bennett veut que vous sachiez que l’avenir n’a pas besoin d’être sombre.

« Nous pouvons parvenir à un Anthropocène sain, un avenir qui soit plus juste, plus prospère et plus durable que notre monde actuel », affirme cette écologiste des écosystèmes nommée conjointement à l’École de l’environnement de McGill et au Département des sciences des ressources naturelles de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’environnement de McGill.

La chercheuse croit qu’il est essentiel de réécrire les récits dystopiques habituels. Comme société, nous sommes bombardés par les médias et la culture populaire de visions catastrophiques de l’avenir. Selon elle, « Les histoires et les images créent notre réalité. Il est donc important de raconter du positif. Autrement, nous risquons de créer l’avenir même que nous projetons. »

Elena Bennett est cofondatrice du projet Seeds of Good Anthropocenes (Les germes d’un Anthropocène sain [traduction libre]), une collaboration internationale de scientifiques qui recueille des exemples de réussites réelles sur le terrain. Ces « germes » d’idées peuvent être des initiatives sociales, de nouvelles technologies, des outils économiques ou même des organisations, des mouvements et de nouvelles façons d’agir.

L’écologiste constate que le succès de nombreux germes est attribuable à une « écoute radicale », c’est-à-dire, la capacité d’aller dans une collectivité avec humilité, de tendre une oreille attentive et de synthétiser une solution nouvelle, réaliste et inspirante. Elle mentionne un projet à Bornéo en Indonésie qui a permis de résoudre un problème de déforestation en fournissant des soins de santé à faible coût aux communautés marginalisées pour éviter que les gens n’exploitent les ressources forestières dans le but de se payer des médicaments. Elena Bennett explique que « La solution était de reconnecter la santé de la forêt avec la celle des personnes ».

Le projet Seeds of Good Anthropocenes vise à développer de meilleurs scénarios d’avenir fondés sur ce genre émergent d’idées, de projets et de modes de vie. Les chercheurs et chercheuses de partout dans le monde ont maintenant accès à plus de 500 réussites compilées dans la base de données du projet.

« Ces germes nous aident à mieux comprendre comment s’opère une transformation dans des systèmes socioécologiques, souligne la professeure Bennett. Elles mettent en lumière des voies réalistes pour apporter des changements et nous montrer la place différente que l’humanité doit occuper sur la planète — en tant qu’humble partie d’une communauté biologique plus grande ».

Cultiver une carrière en écologie

Elena Bennett ne peut nommer le moment précis dans sa jeunesse où elle a décidé de poursuivre des études en sciences de l’environnement. « Ç’a toujours été là, dit-elle. J’étais toujours dehors, je grimpais aux arbres, j’explorais mon environnement. »

Avoir grandi entourée de modèles féminins l’a aidée. Sa mère (maintenant retraitée) était pharmacienne, sa grand-mère maternelle, mathématicienne, et sa grand-mère paternelle, chimiste. « Je n’ai jamais pensé faire quelque chose qui ne soit pas lié aux sciences », se souvient-elle.

En 1994, elle obtient un baccalauréat en biologie et études environnementales du collège Oberlin, puis poursuivant ses études à l’Université du Wisconsin, elle décroche une maîtrise en ressources de la terre en 1999 et un doctorat en limnologie et sciences de la mer en 2002.

Comme chercheuse postdoctorale, Elena Bennett a fourni un soutien scientifique et technique au Groupe de travail sur les scénarios de l’ONU ayant produit l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire, un rapport historique publié en 2005 sur l’incidence de l’humanité sur l’environnement.

Elle est arrivée à McGill en 2005 pour occuper un poste de professeur adjoint. Nommée professeure titulaire en janvier 2020, Elena Bennett a également été intronisée au Collège des nouveaux chercheurs et créateurs en arts et en science de la Société royale du Canada en 2017, et a obtenu la chaire de recherche du Canada, niveau 1, en sciences de la durabilité en janvier 2020.

Se préparer pour l’avenir

Les recherches menées au laboratoire de la professeure Bennett à McGill sont axées sur les questions relatives aux services écosystémiques, ces nombreux avantages que les gens dérivent de la nature. Parmi ces avantages, mentionnons la nourriture que nous mangeons, les endroits où nous nous divertissons et la manière dont le monde naturel régule les menaces telles que les inondations et les maladies.

« Le Canada est un pays riche en ressources naturelles et humaines, estime la chercheuse. Il est très important pour les générations actuelles et futures que nous apprenions à gérer ces ressources de manière équitable et durable. »

Les thèmes de recherche de son laboratoire englobent les écosystèmes urbains, agricoles et aquatiques, l’incidence des activités humaines sur les cycles de nutriments et la prochaine génération de modélisation des services écosystémiques.

Parmi ses récents projets de recherche, citons : une étude des populations indigènes et de l’aquaculture en réservoir au Sri Lanka, une exploration des perspectives d’avenir possibles d’une région marine de l’Arctique canadien où surviennent des changements rapides, et une collaboration avec des membres des collectivités de Bristol et de Pontiac au Québec pour réfléchir à la manière dont la gestion de paysages multifonctionnels peut améliorer la relation entre l’humain et la nature.

Jim Fyles, titulaire de la chaire Tomlinson en écologie forestière, a agi comme mentor auprès d’Elena Bennett lorsqu’elle est arrivée à McGill. Il décrit son travail comme « la prochaine phase des sciences des ressources naturelles ». Plutôt que de se concentrer sur une seule ressource à la fois (au détriment potentiel des autres), le laboratoire Bennett s’intéresse à la gestion et à l’équilibre de toute la gamme des services écosystémiques.

Jim Fyles attribue également à Elena Bennett le mérite d’avoir su réunir les parties prenantes de plusieurs disciplines : « C’est ainsi que la société dans son ensemble doit réfléchir à ces grands enjeux complexes qui nous affectent. Elena est l’une des personnes clés qui nous préparent à être “prêts pour l’avenir” et qui fait avancer les choses dans cette direction. »

Prévoir l’imprévisible

Les recherches menées au laboratoire Bennett explorent aussi ce qui contribuerait à la santé de l’Anthropocène. (L’Anthropocène, qui n’est pas encore une unité de temps géologique formellement définie, est un terme qui désigne la période de l’histoire de la Terre durant laquelle les humains ont eu une profonde influence.) « Il est incontestable que les humains modifient nos écosystèmes, déclare la chercheuse. L’Anthropocène est un bon terme pour nous rappeler que nous vivons dans un monde et une époque dominés par les êtres humains ».

Elena Bennett et ses collègues travaillent à préparer l’avenir en s’appuyant sur des « scénarios de développement ». Elle explique que les développeurs de tels scénarios n’essaient pas de prédire l’avenir, mais que leur travail consiste plutôt à prévoir l’imprévisible.

Elle utilise l’analogie d’un athlète confronté à un adversaire. Le joueur ne sait pas ce qui va se passer ni où ira la balle. Sur la pointe des pieds, il est prêt à se déplacer rapidement dans la bonne direction. Elena Bennett explique que « le processus de planification de scénarios est comparable à celui de se mettre sur la pointe des pieds. »

Elle soulève que le développement traditionnel de scénarios se limite souvent à un objectif final plutôt que d’explorer des voies réalistes pour arriver à cette destination. De plus, les scénarios mondiaux ressemblent trop souvent au monde dans lequel nous vivons déjà, et ils ont tendance à s’appuyer sur les mêmes grands moteurs de changement : la croissance démographique, les utilisations des technologies et les changements d’habitudes de consommation.

« Ces moteurs de changement sont tous très importants, mais de tels scénarios ne contiennent pas les rebondissements et la richesse des détails qui caractérisent le déroulement de l’histoire, estime la scientifique. Dans le développement de nos scénarios, nous découvrons beaucoup d’autres choses qui sont tout aussi importantes — comme le rôle des dynamiques du genre, ou la conception que les gens ont du temps et du travail, ou encore la façon dont nous trouvons et donnons un sens à notre vie. »

Une expérience dans le monde réel

La pandémie de COVID-19 est un exemple concret qui tombe à pic. Elena Bennett souligne que la pandémie a contribué à mettre en évidence de nombreux facteurs de changement moins quantifiables, mais tout aussi essentiels.

« Nous apprenons qu’en cas de crise, les gens tendent la main à leurs voisins. Ils les aident à faire leurs courses. Ils passent en voiture et klaxonnent pour les anniversaires. Nous entrons en contact en ligne avec nos amis et notre famille pour des dîners le vendredi soir et pour célébrer les vacances, alors que normalement nous n’y aurions pas consacré de temps. »

Dans leur travail de développement de scénarios, Elena Bennett et ses collègues examinent comment les crises peuvent entraîner des transformations et nous permettent de réfléchir à ce qui est important. « Il est intéressant de réfléchir à la façon dont nous nous préparons à l’avenir dans un monde qui peut nous prendre de court comme l’a fait la COVID-19. »

Or, qu’en est-il du discours sur les médias sociaux selon lequel la pandémie contribue à résoudre le problème du changement climatique ? La chercheuse prend soin de préciser que si la pollution et les gaz à effet de serre ont quelque peu diminué, ce n’est encore qu’une goutte d’eau dans l’océan. (Selon le rapport sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions 2019 [rapport complet en anglais uniquement] du programme de l’ONU pour l’environnement, il nous faudrait réduire les émissions de carbone de 7,6 % chaque année au cours des dix prochaines années — ce qui signifie réduire de moitié nos émissions actuelles — pour atteindre l’objectif de température de 1,5 degré fixé par l’Accord de Paris d’ici 2030.)

Cependant, Elena Bennett affirme que la COVID-19 a montré que le monde peut agir rapidement. « Lorsqu’il le faut, nous sommes capables d’agir beaucoup plus vite que nous le pensions. Et c’est assez intéressant. »

Mentorer la prochaine génération

Matthew Mitchell a obtenu son doctorat du Département des sciences des ressources naturelles sous la codirection de la professeure Bennett en 2014. « J’ai choisi McGill précisément à cause d’Elena, dit-il. Ses recherches m’inspiraient vraiment. »

Pour sa thèse de doctorat, cet ancien étudiant a travaillé avec Elena Bennett sur le projet Connexion Montérégie. De nombreux chercheurs et décideurs ont travaillé ensemble pour élaborer des scénarios qui examinaient l’incidence du développement de la région sur la biodiversité. Cette recherche a contribué à éduquer les membres de la collectivité sur la façon dont de petites décisions peuvent avoir des résultats plus importants et parfois surprenants susceptibles d’affecter l’avenir environnemental à long terme de la collectivité. Le projet a remporté le prix d’excellence Alice E. Johannsen du Centre de la Nature du Mont-Saint-Hilaire.

« Les recherches d’Elena établissent des liens non seulement entre les systèmes écologiques, mais aussi entre les systèmes sociaux », explique Matthew Mitchell, aujourd’hui chercheur associé à l’Université de la Colombie-Britannique. « Cela nous aide à réfléchir à la façon d’équilibrer les besoins des gens pour préserver la biodiversité. »

À ce jour, Elena Bennett a dirigé 28 étudiants des cycles supérieurs, 3 étudiants de premier cycle et 10 étudiants indépendants. Elle a reçu le Prix d’excellence en enseignement au premier cycle du Campus Macdonald en 2012 et le prix Carrie M. Derick en 2013 pour l’excellence de sa supervision et de son enseignement aux cycles supérieurs.

Promouvoir la communication scientifique

En 2015, Elena Bennett a reçu le prix Catalyst de contribution du personnel à la durabilité pour sa participation active au mouvement de durabilité à McGill. Parmi les autres distinctions, mentionnons la bourse de leadership Leopold de l’Institut Stanford Woods pour l’environnement en 2011-2012, la bourse Trottier en politique publique de l’Institut Trottier de sciences et de politiques publiques de McGill en 2013-2014, et la bourse E.W.R. commémorative E.W.R. Steacie du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNGC) en 2016.

Elle a publié plus de 116 articles révisés par les pairs et a donné de nombreuses conférences, notamment lors de la réunion d’été de Davos du Forum économique mondial à Tianjin, en Chine, en 2012. De 2014 à 2019, elle a été coprésidente d’ecoSERVICES, un projet de recherche international de Future Earth.

Finalement, en 2019, Elena Bennett et ses collègues de Seeds of Good Anthropocenes ont remporté le prix Innovation in Sustainability Science de l’Ecological Society of America pour leur étude Bright Spots : Seeds of a Good Anthropocene.

L’étude des paysages d’un océan à l’autre

Elena Bennett est maintenant chercheuse principale d’un projet de recherche national qui étudiera six des paysages fonctionnels du Canada et les services écosystémiques essentiels qu’ils fournissent. Lancé en septembre 2019, le programme ResNet du CRSNG réunit 26 co-participants de 11 universités, 30 collaborateurs et 17 organismes partenaires. Le projet de cinq ans est financé par une subvention de 5,5 millions de dollars du CRSNG, ainsi que par des contributions de l’Université McGill et d’autres partenaires.

De leur côté, Statistique Canada apporte un soutien en nature. « La décision de conseiller à mes responsables de soutenir ce projet a été facile à prendre », déclare François Soulard, chef de la section R & D de la division des statistiques de l’environnement et de l’énergie. Ce nouveau projet est étroitement lié au travail de sa propre équipe à Statistique Canada, et il souligne également la bonne réputation de la chercheuse et son équipe.

« Des projets comme celui-ci n’ont jamais été aussi importants pour comprendre notre lien avec l’environnement », déclare François Soulard. Il souligne l’importance vitale de recueillir des données compatibles à l’échelle du pays, d’utiliser des termes et des concepts communs, de réduire au minimum les chevauchements et de produire de meilleures informations pour éclairer les décideurs sur notre dépendance et notre impact sur l’environnement.

Le chef de R & D félicite Elena Bennett pour sa capacité à coordonner un grand groupe de collaborateurs et à susciter l’enthousiasme pour le réseau ResNet. « Les gens s’investissent avec cœur au projet, souligne François Soulard. Ils ont un attachement émotionnel avec leur travail. »

Semer des graines pour un avenir meilleur

Sur le site Web du laboratoire de la chercheuse, il est écrit que « L’avenir d’un Anthropocène sain sera probablement radicalement différent du monde dans lequel nous vivons actuellement. Il faudra des changements fondamentaux en matière de valeurs, de philosophies du monde, et de relations entre les gens ainsi qu’entre les gens et la nature. »

Cependant, une question demeure : comment y parvenir ? Elena Bennett est plus que consciente de l’ampleur et de la portée du problème. Elle a contribué en tant qu’auteure principale au chapitre trois de l’évaluation mondiale de l’IPBES, publiée en mai 2019 par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques.

Le rapport a fait la une des journaux en dressant le constat qu’un million d’espèces végétales et animales sont aujourd’hui menacées d’extinction, et que bon nombre de celles-ci seront éteintes d’ici quelques décennies. Il indique également que les émissions de gaz à effet de serre ont doublé depuis 1980, et que les objectifs mondiaux pour 2030 et au-delà « ne peuvent être atteints que par des changements profonds dans les domaines économique, social, politique et technologique ».

Avec son travail au laboratoire et le projet Seeds of Good Anthropocenes, Elena Bennett se consacre à trouver des solutions qui s’articulent autour de changements radicaux nécessaires à cette transformation.

« Si nous voulons créer un monde meilleur, nous devons trouver des histoires positives sur l’avenir — des histoires qui sont inspirantes, mais qui restent fondamentalement ancrées et réalistes », rapporte la scientifique.

« Semons aujourd’hui les germes d’un avenir meilleur. »

Cet article a été publié pour la première fois sur le site Web Research and Innovation  de McGill.