Lorsqu’une invention prend forme dans un laboratoire universitaire, il faut par suite trouver le meilleur parti pour mettre en branle sa première utilisation commerciale.
Dans le cas de la technologie de détection ionique développée dans le laboratoire de Thomas Szkopek à McGill, ce processus a demandé beaucoup de travail à Minh Tran, B. Ing. 2016, M. Ing. 2018, actuellement doctorant en génie électrique, et à Gabriele Capilli, une ancienne boursière postdoctorale de l’Université.
Ils ont parlé avec « des gens avec qui nous n’échangeons habituellement pas » — des personnes des milieux hospitaliers, agricoles et d’autres domaines comme de la filière des batteries, des eaux usées et plus encore, nous explique Thomas Szkopek, professeur au Département de génie électrique et informatique. « Le processus a été long avant d’aboutir à la culture hydroponique, laquelle répondait à de nombreux critères d’un plan de commercialisation pratique. »
Deux inventions du laboratoire Szkopek — dont une première recherche menée par Ibrahim Fakih, B. Ing. 2013, M. Ing. 2015, Ph. D. 2020 — ont donné lieu à une proposition de capteur ionique pour mesurer et équilibrer automatiquement les nutriments utilisés dans les cultures hydroponiques. Ce faisant, le capteur éviterait aux agriculteurs d’avoir à purger leur système à base d’eau en cas de déséquilibre au niveau des nutriments. Donc, on réduit le gaspillage d’eau et de nutriments.
« C’est l’un des grands problèmes auxquels nous sommes confrontés en ce moment en [culture] intérieure ou hydroponique — il n’y a pas de moyens faciles qui permettent de suivre les niveaux de nutriments dans un système hydroponique », explique Mark Lefsrud, professeur agrégé au Département de génie des bioressources de McGill et l’une des personnes consultées dans le cadre du projet.
« Nous avons besoin de quelque chose de plus stable pour nous rapprocher d’un suivi en temps réel », ajoute M. Lefsrud, qui considère la technologie du laboratoire Szkopek comme un « excellent pas en avant ».
Certaines exploitations agricoles intérieures évacuent l’eau après chaque cycle de croissance. « Cela varie d’une grande quantité d’eaux usées à une quantité vraiment très importante d’eaux usées. Chaque entreprise le fait différemment », explique M. Lefsrud.
Minh Tran dirige les efforts de commercialisation des technologies du laboratoire d’ingénierie de McGill et a cofondé Ikei. Selon son argumentaire d’affaires, les capteurs actuels d’ions nutritifs sont très coûteux, instables et requièrent beaucoup d’entretien pour les agriculteurs hydroponiques, tandis que son capteur, sans entretien, promet une durée de conservation prolongée à moindre coût de fabrication.
« À chaque exploitation visitée, les personnes nous disaient : “Oui, c’est ce que nous voulons. Si vous pouvez faire en sorte que ce soit moins cher et meilleur que [les options existantes], nous voudrons certainement le mettre à l’œuvre et nous serons heureux de le tester dans notre exploitation”, raconte Minh Tran, l’un des principaux inventeurs de la deuxième invention à l’origine de la technologie de ce capteur, avec Gabriele Capilli et Thomas Szkopek.
« Il existe actuellement des systèmes de distribution de nutriments », note M. Szkopek. « Nous proposons d’intégrer nos capteurs au système de distribution afin qu’il équilibre automatiquement les nutriments, évitant ainsi le recours à des analyses de laboratoire externes et la purge des nutriments en cas de déséquilibre au niveau des nutriments dans une exploitation agricole. »
Soutien stratégique à McGill pour les activités entrepreneuriales
En décembre 2022, Ikei a reçu un gros coup de pouce du Fonds d’innovation de McGill grâce à un concours de financement à l’échelle de l’université conçu pour aider les chercheurs de McGill à commercialiser leurs inventions afin que le fruit de leur travail puisse avoir une incidence réelle dans la société. Cette entreprise en démarrage a touché un prix de 25 000 $ dans la catégorie Discover Stage, une catégorie réservée aux innovations dont le bien-fondé de son concept a été démontré, mais qui nécessite encore une certaine validation. Elle a aussi remporté le nouveau prix Cleantech d’une valeur de 40 000 $, qui est né de la vision du donateur Marc Boghossian, B. Com. 1993.
En appuyant le Fonds d’innovation de McGill, ce diplômé en commerce de McGill tente de combler le fossé entre les « penseurs » du milieu universitaire — qui ont d’excellentes idées, mais qui ne sont pas familiers avec la gestion d’une entreprise — et les « doers » du monde des affaires.
« Autrement, vous avez de grandes idées qui restent des idées, et vous avez des gens qui [exploitent] leur entreprise de la même façon pendant des années et qui ne changent rien. Mais dès que vous reliez ces deux mondes, vous obtenez un effet de synergie. Et cela crée de la valeur ajoutée à tous les niveaux », explique Marc Boghossian, fondateur de Bomare SA, une société basée à Genève spécialisée dans les diamants et pierres précieuses de couleur naturelle provenant de sources responsables.
L’homme d’affaires est en train d’établir un fonds de dotation pour le prix Cleantech, lequel sera décerné tous les deux ans à une équipe qui se démarque dans l’une des catégories du concours du Fonds d’innovation de McGill et dont le projet est clairement axé sur la durabilité.
Le but du prix est de mettre à l’œuvre des idées dont l’excellence est fondée. « Je crois qu’il faut appuyer tous les efforts déployés pour améliorer les choses et assainir l’environnement grâce aux technologies propres », soutient le donateur qui espère que d’autres chefs d’entreprise emboîteront le pas et contribueront aussi au Fonds d’innovation de McGill.
« Sans investissement au bon moment, une idée peut traîner dans un laboratoire ou un bureau de propriété intellectuelle comme un bibelot sur une étagère », explique M. Szkopek.
Le prix Cleantech permettra à Ikei de fabriquer des prototypes de son capteur ionique à semi-conducteurs et de vérifier son bon fonctionnement pour mesurer et équilibrer automatiquement des nutriments en le mettant à l’essai dans les exploitations agricoles qui ont accepté de s’associer à l’entreprise en démarrage.
« Nous savons que nous allons économiser de l’eau », dit Minh Tran. « Combien économisons-nous ? Combien d’engrais économisons-nous ? Ce sont des questions importantes auxquelles il faut répondre en termes d’impact environnemental. »
Selon Thomas Szkopek, l’autre retombée principale du soutien du Fonds est d’encourager les jeunes à aller au bout de leurs idées et à sortir de leurs zones de confort. « On ne peut surestimer l’importance pour les jeunes chercheurs de voir leurs efforts reconnus par des investissements qui sont, bien sûr, liés à la concrétisation de leurs idées et à leur mise en œuvre. »
Les équipes qui obtiennent du financement du Fonds d’innovation de McGill bénéficient également d’un programme de soutien d’un an pour les aider à amener l’aspect commercial de leur projet à un niveau supérieur. Ce soutien comprend des conseils d’experts par l’intermédiaire du conseil consultatif des bénéficiaires (RAB de l’anglais Recipient Advisory Board). (Marc Boghossian est conseiller au conseil consultatif d’Ikei.)
Ikei a également remporté le Prix de la famille Steven Pal lors de la Coupe Dobson de l’Université McGill de 2023, le concours phare annuel des entreprises en démarrage de l’Université.
Ce n’est pas la première fois qu’une entreprise technologique en démarrage sort du laboratoire Szkopek. Ce fut le cas aussi d’Ora Graphene Audio, l’entreprise à l’origine de membranes de haut-parleurs très performantes fabriquées à partir de graphène, plus léger que le papier et plus résistant que l’acier. (Le capteur d’Ikei utilise également du graphène, mais sous une autre forme.) « Nous avons eu un excellent soutien des donateurs et des anciens étudiants pour lancer l’affaire », explique Thomas Szkopek. « Leurs contributions peuvent vraiment faciliter la germination d’un projet qui ressemble à une toute petite graine en un projet capable d’attirer des financements à plus grande échelle. »