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Réimaginer les frontières comme des lieux d’échange

Lors d’une récente table ronde organisée par l’Institut d’études canadiennes de McGill, des experts internationaux ont réfléchi aux frontières, à la migration et à ce que signifie gagner ou perdre à la « loterie du droit de naissance ».’

Animateur et panélistes sur scène

Alors que la guerre commerciale et les menaces d’annexion ont dominé l’actualité au Canada ces derniers mois, « Réimaginer les frontières » s’est avéré un titre accrocheur pour la deuxième édition de la série « Conversations, parrainées par Charles Bronfman », une table ronde annuelle organisée conjointement par l’Institut d’études canadiennes de McGill (IECM) et la Société Radio-Canada. Lancée l’an dernier grâce à un nouveau don de Charles Bronfman, LL.D. 1990, la série a pour objectif d’examiner sur la scène publique des questions d’intérêt national et de politique.

Plus de 600 personnes se sont réunies au Centre Mont-Royal le 18 mars pour un échange opportun sur le rôle des frontières et les défis que doivent relever les pays au chapitre de la gestion de la migration, dans un climat d’hostilité croissante à l’égard des immigrants.

Le sujet de cette année a été choisi il y a plusieurs mois, explique Jennifer Elrick, professeure agrégée de sociologie et directrice intérimaire de l’IECM, lorsque l’idée d’explorer les défis de la gestion humaine des frontières géopolitiques dans le contexte des migrations s’est présentée.

Mais le sujet a pris une nouvelle importance à la lumière des récents événements survenus aux États-Unis après le retour au pouvoir de Donald Trump, ce qui a attiré l’attention sur les frontières nationales du Canada de manière inédite. « Je pense que c’est la raison pour laquelle nous subissons un tel choc en ce moment, celui d’un renversement de la tendance à la mondialisation économique », mentionne Mme Elrick.

Les Canadiens, tout comme les citoyens d’autres pays à revenu élevé, peuvent facilement traverser de nombreuses frontières. Mais, comme le souligne Mme Elrick, cette « sécurité socioéconomique est en fait une question de loterie du droit de naissance ».

Les gens migrent à cause de conflits, de régimes autoritaires, de l’économie et aussi, de plus en plus, à cause du changement climatique. Selon des estimations prudentes, le changement climatique entraînera l’arrivée de 200 à 300 millions de migrants d’ici 2050. Les réfugiés ne sont pas toujours les bienvenus, et le coût humain est élevé. Au cours des dix dernières années, quelque 27 000 personnes ont perdu la vie – soit à peu près l’équivalent de la population étudiante de premier cycle de McGill – en tentant de traverser la mer Méditerranée pour migrer en Europe.

« Dans un monde où les barrières à l’immigration sont nombreuses, le Canada se distingue et a la possibilité d’être un leader d’opinion sur cette question, déclare Mme Elrick. Si le Canada ne perd pas son sang-froid. »

« Les gens ne veulent pas emballer leurs affaires et aller ailleurs »

Nahlah Ayed, animatrice de l’émission IDEAS diffusée à CBC Radio One, a animé un événement de réflexions avec les intervenants Peter Altmaier, ancien membre de l’Union chrétienne-démocrate du gouvernement allemand, qu’Angela Merkel a chargé de coordonner la crise des réfugiés en 2015; Julián Castro, PDG de la Fondation communautaire Latino, qui a été maire de San Antonio, au Texas, de 2009 à 2014, lorsqu’il est devenu secrétaire au Logement et au Développement urbain dans l’administration de Barack Obama; et Ayelet Shachar, professeure de droit, de sciences politiques et de relations internationales à l’École Munk des affaires internationales et des politiques publiques de l’Université de Toronto, et autrice de Shifting Border et de Birthright Lottery: Citizenship and Global Inequality.

Mme Shachar a lancé la conversation en faisant remarquer que les frontières ont deux fonctions : protéger l’intégrité territoriale et réglementer ce qui les traverse. « Les frontières s’étendent, les frontières se rétractent », a-t-elle déclaré. Par exemple, une fois que vous avez passé la douane américaine à l’aéroport Trudeau à Montréal, vous êtes légalement aux États-Unis. Historiquement, ce sentiment de contrôle de l’entrée aux frontières existe depuis la fin du 19e siècle environ. Cependant, Mme Shachar a précisé que, en vertu du droit international, « aucun pays ne peut forcer un autre pays à modifier sa frontière ».

Les intervenants ont convenu que le droit de protéger les frontières et de contrôler l’immigration doit être équilibré par des valeurs fondées sur l’humanité, même si cela représente un défi.

À titre d’exemple, M. Altmaier a fait remarquer que l’Allemagne, qui compte 80 millions d’habitants, a accueilli plus d’un million de réfugiés au cours des dix dernières années et qu’elle en ressent encore les conséquences, même si le niveau d’intégration est élevé. Parmi les réfugiés syriens, 86 % ont un emploi et presque tous parlent allemand.

M. Altmaier croit fermement que « si nous sommes un pays riche qui a tant bénéficié de la solidarité des autres, si nous sommes incapables d’assurer une protection, nous avons échoué dans l’histoire ».

« Je ne vois aucun pays prospère, doté d’une culture brillante et d’un niveau de vie décent, qui n’a pas d’interaction avec ses voisins, d’autres pays et d’autres peuples dans le monde », a affirmé M. Altmaier. Un pays qui ferme ses frontières « détruit son propre avenir dans un monde moderne et un contexte de mondialisation ».

Toutefois, Mme Shachar a fait remarquer que, lorsque le public commence à percevoir une pression sur des ressources comme le logement, les soins de santé et l’éducation, la bonne volonté peut changer, et quelqu’un profitera toujours de ces sentiments. Les gouvernements doivent rassurer leurs citoyens pour éviter qu’ils ne perdent confiance. Une fois que cela se produit, c’est comme essayer « de remettre un génie dans la bouteille », a-t-elle ajouté.

Bien que le sentiment d’hostilité envers les immigrants soit élevé aux États-Unis, M. Castro est optimiste et croit que le pendule va « basculer dans l’autre direction à cause de la cruauté et de l’excès de pouvoir de Donald Trump ».

Selon lui, les États-Unis devraient accueillir, et non pas expulser, leurs migrants. « Dans les années à venir, vous aurez plus que jamais besoin d’une main-d’œuvre forte et dynamique. Si nous faisons du mur à la frontière le symbole de notre pays au lieu de la statue de la Liberté, vous allez supplier les gens de venir aux États-Unis. » M. Castro a cité son jumeau Joaquin, également engagé en politique, qui a déclaré : « Le moment le plus effrayant pour les États-Unis ne sera pas lorsque tout le monde voudra venir, ce sera quand plus personne ne le voudra. »

Une autre voie, selon M. Castro, consiste à travailler sérieusement – et non de façon paternaliste – avec d’autres pays, « pour aider les gens à trouver la sécurité, des possibilités et une bonne qualité de vie là où ils vivent ». Nous ne devons pas oublier les pressions qui pèsent sur ceux qui sont poussés à l’asile, qui déracinent leurs enfants, qui quittent leur famille et leur emploi. « Les gens ne veulent pas emballer leurs affaires et aller ailleurs. »

La gestion des migrations humaines nécessite une collaboration entre les pays, affirme Mme Shachar. « Le problème est trop vaste pour qu’un seul pays puisse s’y attaquer seul. »

En guise de dernière réflexion, Mme Shachar a mis le public au défi de repenser les frontières, non pas comme des murs de division, mais comme des lieux d’échange, évoquant le Parc international de la paix, situé dans les montagnes entre l’Alberta et le Montana. Les gens peuvent y entrer des deux côtés pour faire de la randonnée ou assister à des événements. « C’est plein de fleurs. C’est une image très différente, une atmosphère totalement différente pour que les gens interagissent », a-t-elle dit.