Vous est-il déjà arrivé de consulter un médecin qui se concentre sur les détails de la maladie ou sur la partie de votre corps qui vous fait souffrir, mais ignore tout le reste de votre personne?
Si l’on songe à la surcharge du système de santé, de telles anecdotes peuvent sembler tout à fait normales. Or, il s’agit précisément de l’école de pensée dont souhaitait s’éloigner William Osler, MDCM 1872, considéré comme le « père de la médecine moderne ».
La conception de William Osler de la primauté de la relation entre le médecin et sa patientèle a révolutionné la formation médicale. En effet, c’est au tournant du 20e siècle, soit à une époque où un étudiant en médecine pouvait obtenir un diplôme sans s’être jamais adressé à un patient, que le docteur Osler a introduit la notion de l’enseignement au chevet du patient et créé le tout premier programme de résidence.
« William Osler avait l’habitude de dire que le médecin doit s’intéresser davantage au patient qu’aux manifestations de la maladie. Pour lui, il était impératif de comprendre la personne dans sa globalité », explique Mario Molina, scientifique, entrepreneur et ancien président de l’American Osler Society.

Mario Molina reçoit le Prix de l’ami de l’année 2024 des Amis des Bibliothèques, un organisme bénévole de l’Université McGill.
Grand collectionneur de livres, le Dr Osler a légué quelque 8 000 volumes de médecine à son alma mater, l’Université McGill. Ce don a constitué le fonds de départ de la Bibliothèque d’histoire de la médecine Osler, lequel compte aujourd’hui plus de 100 000 livres rares, manuscrits, artefacts et autres documents. L’une des principales collections médicales en Amérique du Nord, la Bibliothèque Osler attire des chercheurs et des visiteurs des quatre coins de la planète.
Dans le but de préserver l’approche humaniste de la médecine mise de l’avant par William Osler, le Dr Molina a récemment fait don de 2 millions de dollars à la Bibliothèque Osler. Ce don participera à la création d’un fonds de dotation permanent pour le poste de bibliothécaire en chef.
« Il est très important de protéger la Bibliothèque Osler et de s’assurer qu’un personnel dûment formé soit responsable de son utilisation », soutient Mario Molina, également membre du Conseil des conservateurs de la Bibliothèque Osler.
Grâce au soutien du Dr Molina et d’autres donateurs, l’objectif de 4 millions de dollars pour le financement du poste de bibliothécaire en chef est à portée de main : en décembre 2024, il restait aux organisateurs 600 000 dollars à amasser pour atteindre leur objectif.
L’importance des sciences humaines en formation médicale
La toute première fois où Mario Molina a entendu parler du Dr Osler, ce fut par son père, qui se plaisait à citer les maximes du pionner canadien de la médecine, dont celle-ci : « Si vous écoutez attentivement le patient, il vous donnera le diagnostic ».
C’est cependant pendant ses stages et sa résidence à l’hôpital Johns Hopkins – dont la fondation est en partie attribuable à William Osler – que le Dr Molina a développé une véritable fascination pour l’histoire de la médecine et pour le Dr Osler, pionnier de la médecine.
William Osler travaille à son manuel de médecine phare, The Principles and Practice of Medicine, à l’hôpital Johns Hopkins, en 1891.
De l’avis de Mario Molina, l’une des contributions les plus importantes de sir Osler provient de son amour des sciences humaines et de sa conviction que l’histoire, l’art et la littérature font partie intégrante de la formation et de la pratique médicale.
« À la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, nombre de nos universitaires de premier plan étaient polymathes – c’est-à-dire qu’ils s’intéressaient à toutes sortes de disciplines, et le Dr Osler faisait partie de cette dernière génération incarnant cet éclectisme », rappelle Guylaine Beaudry, doyenne des Bibliothèques et titulaire de la chaire Trenholme de l’Université McGill.
« Chaque soir, le Dr Osler avait l’habitude de lire pendant une trentaine de minutes autre chose que des livres de médecine », indique la doyenne, ajoutant qu’il constituait des listes de classiques, où figuraient par exemple la Bible et les œuvres de Shakespeare, qui, selon lui, devaient faire partie des lectures de tout médecin digne de porter ce titre.
« Les jeunes étudiants n’ont pas nécessairement une grande “connaissance” de la vie, et ils peuvent trouver difficile de comprendre ce que vivent leurs patients, explique le Dr Molina. Or, la littérature, la poésie et les sciences humaines permettent de découvrir de nouvelles perspectives et d’acquérir une certaine expérience. »
« Sans cet apport, les médecins tendent à ne voir qu’une seule dimension des soins. Ils ne voient pas le patient dans son ensemble et se limitent aux aspects purement techniques : incisions, perfusions, etc. »
Si la médecine revêt de plus en plus un caractère technique, Mario Molina croit que le Dr Osler nous sert un important rappel de ce qui est au cœur de la profession médicale. Loin d’être démodées, les idées du médecin humaniste ont été soutenues par de nombreuses études qui rappellent qu’un lien de qualité avec le médecin peut avoir une incidence positive sur la santé du patient.

Le lieu de prédilection du Dr Molina à la Bibliothèque est la niche à l’arrière de la salle Osler (photo), où sont conservées les cendres de sir William Osler et de son épouse, Lady Osler.
Pour une histoire médicale vivante
La Bibliothèque Osler de l’Université McGill a comme mission de garder vivant ce lien entre médecine et sciences humaines, et de veiller à ce que les étudiants et étudiantes connaissent l’histoire de leur profession.
Comme l’explique Guylaine Beaudry, le bibliothécaire en chef est responsable de la gestion et de la préservation d’une collection qui comporte de nombreux documents médicaux historiques d’une valeur inestimable.
L’exemplaire ayant appartenu au Dr Osler d’Of the advancement and proficience of learning (1640), de Francis Bacon, est l’un des nombreux livres rares conservés à la Bibliothèque Osler.
Conformément au souhait du Dr Osler, le poste de bibliothécaire en chef a toujours été occupé par un universitaire spécialiste de l’histoire de la médecine qui établit des ponts entre la collection, la population étudiante et le public.
« Les étudiants et étudiantes ont des tonnes de questions à poser et il y a des milliers de façons d’y répondre, explique la doyenne des Bibliothèques. Le bibliothécaire est là pour les aiguiller et les amener à explorer différentes voies. »
« Voilà ce qu’incarne à mes yeux la Bibliothèque d’histoire de la médecine Osler : un fonds extraordinaire, un réseau de personnes-ressources, un espace et une programmation riche », ajoute-t-elle.
En plus de permettre au bibliothécaire en chef d’accomplir son travail essentiel, le don de Mario Molina financera la création d’un deuxième poste de libraire. « Ce nouveau poste permettra une interaction accrue avec les étudiantes et étudiantes, qui pourront ainsi vivre des moments d’émerveillement et accéder à des possibilités d’apprentissage expérientiel. »
Guylaine Beaudry est profondément reconnaissante envers les alliées indéfectibles de la Bibliothèque, le Dr Molina et toutes les personnes qui donnent à cette cause : « Merci de croire au pouvoir des livres, à leur capacité à nous aider à nous comprendre les uns les autres et à comprendre le monde ».